A. Qui a peur d’un royaume terrestre du Christ, et pourquoi ?

Comme je l’ai fait remarquer à plusieurs reprises dans mes publications : les responsables religieux – tant ecclésiastiques que laïcs – justifient par le risque de dérives sectaires leur réserve expresse en matière de diffusion publique d’écrits traitant de la fin des temps et de l’eschatologie. On m’a dit, pour me rassurer : « Personne ne vous accuse d’hérésie ni de sectarisme, et il est possible que vous soyez sincère, mais le Magistère doit protéger la foi des fidèles qui n’ont ni votre savoir si votre motivation spirituelle. Et d’ailleurs, il suffit de consulter les textes anciens que vous citez pour constater qu’on ne saurait s’y fier : ils se contredisent souvent ; la plupart du temps, on en ignore les auteurs et le niveau d’autorité dans l’Église ancienne ». Et pour couper court à mes explications, il n’est pas rare que l’on recoure à l’argument d’autorité, magistériel s’entend. Le cas de la croyance en un règne millénaire du Christ sur la terre, par exemple, est vite réglé. C’est, tranche-t-on, une hérésie qui a fait l’objet d’une condamnation ecclésiale – affirmation qui est tout sauf prouvée. En réalité, hormis quelques rares exceptions, ces contradicteurs n’ont pas étudié la question ex professo, ou au moins pris connaissance de positions contraires exprimées par des spécialistes qualifiés qui ont soigneusement étudié et documenté cette problématique [1]. Pour les antimillénaristes catholiques, la cause est entendue : ils s’alignent sur la position des préposés à la défense de la foi qui, « pour des raisons prudentielles », s’en tiennent à une décision (et non une condamnation) du Saint-Office de 1942, ratifiée par le pape Pie XII [2], et rendue publique en ces termes :

Le système du millénarisme, même mitigé – à savoir, qui enseigne que, selon la vérité catholique, le Christ Seigneur, avant le jugement (fi)nal, viendra corporellement sur cette terre pour régner, la résurrection d’un certain nombre de justes, soit ayant eu lieu, soit n’ayant pas eu lieu – ne peut être enseigné en [toute] sécurité.

Comme dit plus haut, ce « millénarisme mitigé » – il est important de le souligner – est pourtant une croyance vénérable et très ancienne, qui fut celle de Pères du IIe s. aussi orthodoxes que Justin Martyr et Irénée de Lyon et d’autres [3]. Elle a fait l’objet d’une réprobation encore plus sévère dans un article, passablement confus, du Catéchisme, qui – chose étonnante, voire choquante – la met sur le même plan que le messianisme politique et/ou hérétique [4]. Il doit être clair que, pour ma part, lorsque je parle de ces perspectives, c’est par référence aux doctrines du messianisme juif traditionnel, telles que les a reçues et transmises la première génération des chrétiens d’origine judaïque, qui partageaient intégralement la foi ultérieurement qualifiée de chrétienne, mais observaient toutes les pratiques de la Loi, avant d’être progressivement exclus de la Grande Église comme ‘hérétiques judaïsants’, ou assimilés aux fidèles d’origine païenne, après abandon de leur mode de vie juif [5].

Je n’ai jamais fait mystère, dans mes écrits – et encore moins le ferai-je dans celui-ci –, que je suis déterminé à rappeler, « à temps et à contretemps », la foi de Pères anciens [6] en un royaume millénaire du Christ sur la terre, à eux transmise par les Presbytres [7]. Et ce non pour engager une joute avec le Magistère et ses théologiens, mais parce que, outre les sollicitations de ma conscience qui me pousse à porter témoignage, l’Écriture et maints textes des Traditions juive et chrétienne se présentent sans cesse, depuis de longues années, à mon intelligence et à mon âme, au fil de mes recherches et de mes méditations, m’obligeant à y voir ce que mes devanciers n’ont pas découvert. Non que je sois plus perspicace qu’eux, bien entendu, mais pour des raisons que Dieu seul connaît.

Comme je ne fais pas partie du ‘personnel’ de l’Église, ni n’exerce, en son nom, une missio canonica, je ne devrais normalement pas faire l’objet d’une injonction de silence de la part des autorités religieuses. Pour autant, je suis parfaitement conscient de ma responsabilité, et je ne me sens pas libre de dire, au nom de la liberté d’expression, tant à la mode de nos jours, tout ce qui traverse l’esprit. Je me sens, au contraire, tenu à un certain devoir de réserve, dénué de servilité ou de souci de plaire.

Cette mise au point étant faite, je puis désormais exposer en toute clarté et liberté [8] ce que je comprends des signes de ces temps-ci et de ce que les fidèles doivent faire pour correspondre au dessein de Dieu sur les Juifs et les Chrétiens, en témoignant, face à l’humanité, de Sa Seigneurie sur le monde et en l’appelant à la pénitence pour la rémission des péchés (cf. Mc 1, 4 ; Lc 3, 3).

Je rappelle que ma compréhension personnelle du mystère du Salut s’articule autour du concept de « Personnalité corporative » [9], largement admis par la recherche, et de celui d’« intrication prophétique » [10], qui m’est propre. Je reconnais volontiers qu’il peut être difficile à beaucoup de mes contemporains d’entrer dans cette problématique, mais le langage étant le seul moyen de communiquer en toute matière, en général, et en matière de foi, en particulier, force m’est d’exposer mon propos de manière dialectique [11].

De l’interprétation chrétienne multiséculaire selon laquelle les juifs n’ayant pas reconnu le Christ de Dieu venu dans la chair en la personne de Jésus, Dieu s’est constitué un « nouveau peuple » [12] assimilé plus ou moins explicitement à l’Église, a longtemps découlé la conviction chrétienne incoercible que, pour être agréables à Dieu, voire pour être sauvés, les juifs doivent être incorporés à cette Église par la foi au Christ et la réception du baptême. De longs siècles d’un enseignement patristique et ecclésial coulé en formules invariables dans une tradition liturgique immuable, dont est nourrie la foi des fidèles, ont conféré à ce « narratif » [13] théologique le statut d’un credo quasi dogmatique.

Et pourtant, je crois devoir obéir au dictamen de ma conscience [14], qui me pousse à réitérer ici, après l’avoir confessée à plusieurs reprises dans mes écrits antérieurs, ma foi dans la restitution (apokatastasis) au peuple juif du Royaume et des prérogatives messianiques qui y sont liées (cf. Ac 1, 6).

On m’a objecté : Comment pouvez-vous dire que les juifs sont rétablis dans leurs prérogatives d’antan, alors que l’apôtre Paul lui-même dit expressément qu’« ils seront greffés s’ils ne demeurent pas dans l’incrédulité » (Rm 11, 23) ? Or, il est patent qu’ils sont encore incrédules jusqu’à ce jour [15]. De quel droit osez-vous donc opposer votre certitude personnelle aux Écritures et à la Tradition de l’Église ?

L’objection est sérieuse, surtout quand elle est formulée par des chrétiens sincères dotés ce que les théologiens appellent le « sens de la foi » [16], c’est-à-dire la perception intuitive, sous la motion de l’Esprit Saint, de ce qui fait partie du « dépôt » de la Révélation, conservé et transmis par la Tradition, et de ce qui s’en écarte, même de manière infime. Je n’ai jamais caché que je préférerais me taire à tout jamais plutôt que d’écrire ou enseigner quoi que ce soit qui justifie les mises en garde qu’on me fait parfois de courir et de faire courir à d’autres un risque d’hérésie ou de schisme, en exposant publiquement des conceptions que n’enseigne pas l’Église, voire qu’elle a déjà rejetées, à en croire certains. Je sais aussi que même si j’entreprends de démontrer qu’il faut distinguer entre la manière dont un énoncé est perçu et son contenu intrinsèque, on me remontrera qu’en chrétienté, nul fidèle (qu’il soit laïc, clerc ou même évêque, voire pape), n’est habilité à répandre ses opinions propres si elles contredisent le donné de la foi. Et je n’ignore pas le sévère avertissement de Newman, qui fait figure de norme en la matière [17]:

L’Église catholique prétend non seulement prononcer des jugements infaillibles sur des questions religieuses, mais critiquer des opinions qui touchent indirectement à la religion et qui ont un objet profane, telles que les questions de philosophie, de science, de littérature, d’histoire. Et elle demande que nous nous soumettions à sa prétention. Elle entend censurer les livres, imposer silence aux auteurs, et interdire les discussions. L’Église, dans ce domaine, prononce moins, en général, des décisions doctrinales qu’elle impose des mesures de discipline. Mais il faut, bien entendu, obéir sans mot dire, et, par la suite des temps, peut-être reviendra-t-elle tacitement sur ses propres injonctions. En de pareils cas, la question de foi n’intervient nullement ; car, en matière de foi, ce qui est considéré comme vrai l’est pour toujours et ne peut être rétracté. De ce qu’il existe un don d’infaillibilité dans l’Église catholique, il ne s’ensuit nullement que les membres de cette Église qui le possèdent, soient infaillibles dans tous leurs actes […] Je trouve que l’histoire de l’Église nous fournit des exemples d’un pouvoir légitime exercé avec dureté ; et l’admettre n’est autre chose que de dire, suivant les paroles de l’Apôtre : «le trésor divin est porté dans des vases d’argile» ; il ne s’ensuit pas non plus que les actes du pouvoir souverain ne soient pas justes et nécessaires parce qu’ils ont pu être vicieux dans la forme […] Mais je vais plus loin et je trouve que les événements ont démontré que, malgré les critiques les plus hostiles portées contre les empiétements ou les sévérités des hauts dignitaires ecclésiastiques du temps passé dans l’exercice de leur pouvoir, ils avaient le plus souvent raison ; et ceux qui éprouvaient leurs rigueurs avaient habituellement tort […] En lisant l’histoire ecclésiastique, alors que j’étais anglican, il m’avait fallu me rendre à cette évidence, que l’erreur initiale d’où naissait l’hérésie, était de promouvoir avec insistance certaines vérités, malgré les défenses de l’autorité, et hors de saison. Il y a un temps pour chaque chose ; plus d’un homme désire la réforme d’un abus, l’approfondissement d’une doctrine, ou l’adoption d’une discipline spéciale ; mais cet homme oublie de se demander si l’époque est venue pour cela. Sachant que personne d’autre que lui ne s’occupera d’accomplir cette réforme sa vie durant, cet homme, sans écouter l’avis des voix autorisées, n’hésite pas à le faire. Il gâche ainsi, en son siècle, une œuvre utile qui aurait pu être entreprise et menée à bien, au siècle suivant, par quelqu’un d’autre qui, peut-être, n’est pas encore né. Alors qu’aux yeux du monde, cet homme semble être un champion audacieux de la vérité et un martyr de la conviction indépendante, il n’est, en réalité, qu’un de ces personnages que l’autorité compétente se doit de réduire au silence. […]

Pendant longtemps, ce texte austère du grand Newman, m’a tellement impressionné que je muselais la voix de ma conscience en taisant ce qu’elle me faisait comprendre. Heureusement pour ma paix intérieure, je tombai un jour, au fil de mes lectures, sur ces lignes, beaucoup plus nuancées et dans l’esprit du Concile, de Mgr W. J. Levada, alors archevêque de Portland [18]:

[…] de nombreux évêques demandèrent quel est le statut d’une personne qui estime, de bonne foi, qu’elle ne peut pas accepter l’un ou l’autre enseignement du magistère autorisé mais non infaillible. La Commission théologique du Concile suggéra que ces évêques consultent des experts en la matière. Le point de vue de ces théologiens peut être synthétisé comme suit […] Lorsque un enseignement non infaillible est proposé à notre assentiment, il nous est demandé une pleine soumission de l’esprit et de la volonté à une doctrine qui est proposée par ceux qui sont chargés d’enseigner de façon authentique dans l’Église, et qui sont assistés par le Saint-Esprit, de telle façon que l’Église puisse parvenir à la pleine connaissance de la vérité et soit guidée vers une juste conduite de nos vies chrétiennes. Puisque cet enseignement n’a pas été prononcé infailliblement, nous ne pouvons savoir, de façon absolue, que la possibilité d’erreur est exclue : nous pouvons cependant agir selon la prudence, en donnant notre assentiment et accepter cette doctrine, à cause de la conviction que le Saint-Esprit guide les pasteurs de l’Église dans son expression. Mais parce que la proposition d’un enseignement certain, mais non infaillible, ne comporte pas la garantie absolue de sa vérité, il est possible de justifier la suspension de l’assentiment, de la part d’une personne qui est arrivée à des raisons vraiment convaincantes, libres de tout préjugé personnel, qui la portent à croire que l’enseignement en question n’est pas correct. Dans ce cas, cette personne (par exemple le théologien ou le savant dont nous avons parlé plus haut) devrait s’efforcer de clarifier les questions avec ceux qui ont la charge d’enseigner dans l’Église, dans l’intention d’aider au développement de la discussion sur le sujet et d’élaborer une position nouvelle ou révisée, et (ou bien) les soumettre au jugement de ses pairs, dont les commentaires et les points de vue aideraient à clarifier la question mise en doute […].


B. Souffrir pour obtenir la modification d’un énoncé du Magistère ordinaire, sur base de la théorie du développement de Newman [19]

J’ai déjà soulevé ce problème dans le passage suivant d’un de mes ouvrages [20] :

Une théologie qui bute sur la place des juifs dans le dessein de salut de Dieu […] ne serait-elle pas inadéquate pour rendre compte du mystère, ou, ce qui serait plus grave, pour en accueillir la manifestation ? Voici une comparaison. La physique classique était impuissante à rendre compte d’un nombre important de phénomènes et d’anomalies inexplicables que révèle l’observation du cosmos et de la structure de la matière. Il a fallu, pour décrire ces aspects d’un réel jusque-là non perçu, changer de physique et même de mathématique. Ne faut-il pas faire de même, mutatis mutandis, en matière théologique, pour exposer le dessein de Dieu, non pas tel que le voient les spécialistes, mais tel que l’exposent les Écritures ? [21]

À lire son propos austère cité plus haut, Newman semblait définitivement réfractaire à toute démarche de ce type. Or, à en juger par cet autre texte de l’illustre cardinal, il s’avère fort heureusement que ce n’est pas le cas. J’espère ne pas faire preuve de présomption ni d’exaltation malsaine, en exprimant ma détermination d’être du nombre de ceux qu’il avertit, dans la dernière phrase du passage cité ci-dessous, de ce qui les attend s’ils sont prêts à aller jusqu’au bout de leur démarche et à en supporter les conséquences [22] :

Quels que soient les mérites intrinsèques du jugement privé, et même s’il n’a pas pour but de faire du prosélytisme ou de convertir, la charge de la preuve [23] lui incombe, et il doit fournir des raisons pour qu’on le tolère plutôt que de se voir considéré comme un facteur destructeur de paix, ou neutralisé séance tenante comme un élément perturbateur de l’ordre actuel des choses. […] Considérant, en un mot, que le changement est vraiment la caractéristique de l’erreur, et l’inaltérabilité, l’attribut de la vérité, de la sainteté du Dieu Tout-puissant lui-même, nous estimons que lorsque le jugement privé va dans le sens de l’innovation, il peut très bien être considéré en premier lieu avec suspicion et traité avec sévérité. Il peut bien sûr s’exercer pour la défense de ce qui est établi ; et nous nous gardons bien de dire qu’il ne doit jamais aller dans le sens du changement ou de la révolution, sinon l’Évangile lui-même n’aurait pu exister ; mais nous considérons que de graves changements religieux doivent, de prime abord, faire face à une opposition ; ils ont un problème à surmonter et doivent prouver leur recevabilité, avant de pouvoir raisonnablement être autorisés ; et ceux qui en sont les artisans peuvent être appelés à souffrir, pour prouver leur sérieux, et payer le prix du trouble qu’ils causent[24]

Je ne saurais mieux caractériser le sens et les conséquences éventuelles de ma démarche – que j’assume pleinement par avance.

Il me faut à présent expliquer pourquoi j’ai cru devoir soulever à nouveau la question du millénarisme [25], ou attente d’un règne millénaire du Christ sur la terre. La première raison est, comme je l’ai déjà dit, que cette croyance était partagée par des Pères anciens et vénérables de « l’Église des quatre premiers siècles de l’histoire chrétienne », dont un chercheur averti [26] estime le nombre à « au moins quatorze » [27], ce qui l’amène à conclure que « l’Église primitive a gardé massivement un point de vue pré-millénariste » [28].

La seconde raison est que je ne peux me départir du sentiment inconfortable qu’il existe un lien, conscient ou non, entre une évidente défiance chrétienne à l’égard de l’espérance d’un règne de mille ans du Christ et de ses élus – dont témoigne expressément le Livre de l’Apocalypse (20, 4-5), mais qui est lue de manière allégorique par la majorité des interprètes – et le refus de la Grande Église d’accepter la survivance en son sein de la spécificité existentielle, culturelle et religieuse des Juifs croyants en Jésus.

Parmi les avocats de la cause d’une « restauration de la place qui revient à l’ekklesia juive en tant que frère aîné » [29], se distinguent, ces dernières années, certains dirigeants du Judaïsme Messianique [30]. Je m’attarderai ici sur deux acteurs majeurs de la cause de ce mouvement : le P. Peter Hocken, prêtre britannique, spécialiste de l’œcuménisme et de l’histoire des mouvements de Renouveau dans l’Esprit – dont l’approche est surtout spirituelle et prophétique -, et le rabbin messianique américain, Mark S. Kinzer – qui est l’un des théologiens majeurs du Judaïsme Messianique, en général, et de l’initiative intitulée « Vers un Deuxième Concile de Jérusalem », en particulier, dont il a brièvement retracé la genèse et le but dans son ouvrage de référence [31]. Bref extrait [32] :

Le but de ce projet, sur le long terme, était d’inciter des responsables de toutes les tendances du monde chrétien à se réunir pour un concile œcuménique qui ferait pour les disciples Juifs de Jésus de notre temps ce que fit le premier Concile de Jérusalem pour les disciples de Jésus issus de la Gentilité – à savoir, reconnaître leur vocation spécifique et éliminer les attentes culturelles impropres à cette vocation. Toutefois, ce second Concile de Jérusalem aurait la charge supplémentaire de régler les comptes avec une longue histoire durant laquelle l’Église a activement privé les juifs baptisés de toute vie juive.

De leur côté, le P. Peter Hocken et des membres de l’initiative « Vers un Deuxième Concile de Jérusalem » se sont rendus, dans une démarche de confession et de pénitence, sur les lieux où la chrétienté s’est montrée particulièrement coupable à l’égard des Juifs, en général, et des croyants juifs en Jésus, en particulier, en pratiquant à leur égard une regrettable théologie de la substitution [33]:

À Nicée, nous avons confessé trois choses: 1. La marginalisation des croyants juifs, qui aboutit à ce qu’ils n’ont pas eu de représentation, ni de possibilité de s’exprimer, lors du Concile de Nicée en l’an 325. 2. La décision de Constantin, acceptée par les évêques, d’imposer un calendrier non juif à l’ensemble de l’Église, ce qui a empêché les croyants juifs de célébrer les fêtes d’Israël dans la communion de l’Église. Ce fut le début de l’interdiction faite aux baptisés d’observer toutes les pratiques juives. 3. Le troisième péché confessé fut l’excommunication, en 787, au Concile de Nicée [II] des chrétiens qui participaient au culte synagogal. En Espagne déjà, nous avions confessé les horreurs de l’Inquisition espagnole, car la pire part de toute l’histoire fut celle de l’Inquisition espagnole et portugaise. Beaucoup de violence fut infligée au peuple juif par l’Inquisition, ce qui a conduit à des baptêmes forcés, puis à des sanctions pour avoir pratiqué le judaïsme en secret. Un acte d’humilité catholique plus intense a eu lieu au cours de deux visites en Amérique latine, au cours desquelles, en Argentine (2005) et au Brésil (2013), Johannes Fichtenbauer [34] et moi avons confessé les péchés de l’Église catholique contre le peuple juif et contre les conversos, ou marranes.

Le P. Hocken relate un autre voyage de pénitence et d’intercession, à Antioche cette fois [35]:

En 2005, les responsables préparaient une importante conférence internationale à Jérusalem pour l’automne 2006, pour réfléchir sur les dix premières années de [l’initiative] « Vers un Deuxième Concile de Jérusalem » et préparer les dix prochaines. Lors de notre réunion de l’automne 2005, nous avons reçu une parole prophétique nous enjoignant de nous rendre à Antioche avant d’aller à Jérusalem. Nous avons donc modifié nos plans […] À Antioche, nous étions environ 30 personnes, avec d’autres dirigeants et intercesseurs, outre le Comité de « Vers un Deuxième Concile de Jérusalem ». Je m’attendais à une autre session de repentance pour la théologie de la substitution de l’Église des premiers siècles. Mais ce n’est pas ce qui s’est produit. Le premier matin, nous avons lu à haute voix tous les passages du Nouveau Testament qui mentionnent Antioche. Les responsables messianiques présents ont ensuite souligné que trois conflits ont eu lieu en relation avec Antioche, et que, dans les trois, des croyants juifs étaient impliqués: 1. La perturbation causée lorsque des croyants venus de Jérusalem ont exigé que des non-Juifs convertis soient circoncis, différend qui a conduit au concile des apôtres et presbytres de Jérusalem, relaté en Actes 15, 2. Le différend entre Paul et Pierre, décrit en Galates. 3. Le conflit entre Paul et Barnabas à propos de Jean Marc, qui a mené à la rupture de leur partenariat missionnaire. Les responsables messianiques ont été amenés à faire repentance pour les divisions et les querelles au sein de la communauté messianique et à prier pour l’unité du mouvement. On prenait conscience du terrible exemple donné aux nouveaux croyants issus de la gentilité.

Le même auteur évoque ensuite le scandale qu’a constitué la reconnaissance, par la diplomatie vaticane, de l’État palestinien [36]:

Pour les Juifs messianiques, il est difficile de comprendre comment l’Église catholique peut enseigner la non-révocation de l’alliance avec Israël dans Nostra Aetate et le Catéchisme de l’Église Catholique, puis conclure cet accord avec les Palestiniens. Comment est-ce possible ? Ce n’est pas de la duplicité. Cela montre la profondeur de la pénétration du concept de substitution dans toute la théologie de l’Église durant tant de siècles.

Je profite de l’occasion que me fournit l’évocation du haut-le-corps des Juifs Messianiques, devant cette initiative de la diplomatie vaticane, pour préciser que le monde protestant n’est pas en reste en matière de parti pris pro-palestinien, tant s’en faut. Les non-spécialistes ignorent en général la forte hostilité théologique dont fait preuve une grande partie de l’establishment religieux protestant envers le sionisme (même modéré), en général, et envers l’État d’Israël, en particulier [37]. Il s’agit d’une idéologie pernicieuse, qui fait des Juifs israéliens le parangon fantasmé de l’injustice socio-politique et de la brutalité militaire, aux dépens d’un peuple « occupé », réputé juste et innocent parce qu’il échoue dans toutes ses tentatives violentes de nuire à un État Juif beaucoup plus puissant que lui.

Et voici que le savant bibliste protestant Walter Brueggemann, dont le renom et l’influence sont grands, pourvoit les détracteurs chrétiens d’Israël de la caution biblique, à prétention théologique, que constitue son livre récent [38], dans lequel il procède à une relecture socio-politique et moralisatrice de l’Écriture, qui incrimine les Juifs d’Israël. Même s’il se défend de nier l’élection du peuple juif et la promesse de la terre que Dieu a faite à l’Israël biblique [39], l’illustre professeur émérite ne les vide pas moins de leur substance par un discours engagé en faveur du plus faible – le peuple palestinien – et réprobateur critique du plus fort – l’État d’Israël – auquel il enjoint de satisfaire aux exigences de la justice, sous peine de perdre la terre qui lui a été « donnée sans condition », mais qui n’est « conservée » par lui que « sous condition […] en fonction de l’obéissance à la Torah [40] ». Formule spécieuse, à mon sens, qu’aggrave ce jugement accablant :

Dans l’État d’Israël d’aujourd’hui, avec ses politiques sionistes, l’exclusion de l’autre (de nos jours, les Palestiniens) est un motif dominant. Et alors que l’État d’Israël continue à « négocier » avec les Palestiniens, l’appel sioniste dominant aux promesses [bibliques] de la terre continue à s’en tenir, de manière intransigeante, à la revendication exclusiviste que toute la terre appartient à Israël et que l’autre inacceptable doit être exclus, que ce soit par la loi ou par la coercition violente [41].

À l’unisson avec l’ouvrage de Braverman [42] – pour lequel il a rédigé un Avant-Propos élogieux -, Brueggemann exige la justice pour les seuls Palestiniens, sans égard à une autre injustice – non moins grave – dont sont victimes des citoyens israéliens en butte à l’incitation permanente à la violence de la part des dirigeants politiques palestiniens, et exposés à des attentats meurtriers incessants. J’ai reproduit, ci-après, dans l’Annexe 3 [43], de substantiels extraits des arguments de Brueggemann, et, dans l’Annexe 4 [44], quelques réfutations de ses thèses par des auteurs chrétiens. Je ne saurais trop insister sur la nécessité de lire attentivement ce matériau pour avoir une idée objective de la gravité de la situation, dont je ne crains pas de dire, au risque d’encourir la dérision, qu’il pourrait s’agir d’un signe avant-coureur de l’apostasie prédite par les Écritures pour la fin des temps [45].

C. Le Judaïsme Messianique, une ‘interface’ [46] providentielle entre Judaïsme et Christianisme

On n’a pas encore suffisamment mesuré l’impact sur les églises de l’émergence, relativement récente, de ce mouvement spirituel, dans ses différentes déclinaisons, mais il semble impossible de nier qu’il s’inscrit dans le vaste mouvement de Renouveau qui travaille les églises depuis la fin du 19ème siècle. Rappelons qu’après quelques décennies de recherche d’identité et de maturation, ponctuée de crises de doctrines et de leadership, les différents courants du mouvement des Juifs qui croient en Yeshoua se sont structurés, au cours du 20ème siècle, tant sous l’angle religieux et théologique que sous celui de l’organisation et de l’exercice du leadership. Il n’est peut-être pas fortuit que ce processus se soit mise en place vers la fin des années 1960, plus ou moins concomitamment avec la victoire imprévisible d’Israël sur trois pays arabes ligués pour le « jeter à la mer » (Guerre des Six Jours), suivie de la réunification de Jérusalem, qui sera par la suite proclamée « capitale une et indivisible » du peuple juif [47].

Les livres et articles consacrés au Judaïsme Messianique [48], ou qui en traitent de façon plus ou moins approfondie, sont, dans leur immense majorité, publiés en langue anglaise. On ne s’étonnera donc pas que je réfère ici exclusivement aux deux textes majeurs sur le sujet, que j’ai traduits en langue française [49]. Je rappelle que, quel que soit le chemin – le plus souvent intime et secret – par lequel des individus juifs de naissance en sont venus à croire en Jésus, à confesser Sa Messianité, voire Sa divinité, et à adhérer plus ou moins au meilleur de la Tradition chrétienne, la grande majorité d’entre eux aspire à la « restauration de la place qui revient à l’ekklesia juive en tant que frère aîné » [50] Or, une longue et parfois douloureuse expérience leur a appris combien serait difficile le chemin vers l’unité et la reconnaissance mutuelle des deux familles de croyants au Christ – les Juifs et les Chrétiens -, dans le respect de leur spécificité respective. En témoignent ces extraits du livre de Rabbi Mark Kinzer l’un des théologiens majeurs du mouvement Juif Messianique, dans un excursus de son livre récent, consacré aux Juifs Messianiques :

Les Juifs Messianiques ne peuvent faire abstraction du Catholicisme avec la même facilité que celle dont font preuve les Catholiques pour faire abstraction du Judaïsme Messianique. Nous sommes tous vivement conscients de la présence de l’Église catholique et de son rôle unique dans le monde. Pourtant, la plupart des Juifs Messianiques voient cette imposante institution comme ayant peu de pertinence pour leur vie ou pour la mission du mouvement auquel ils appartiennent [51].

Et le théologien juif d’avouer plus loin :

Lorsqu’ils rencontrent des Catholiques romains engagés, certains Juifs Messianiques réagissent avec méfiance. « Ces Catholiques veulent nous convertir et nous absorber. » (Bien entendu, beaucoup de catholiques pensent la même chose des Juifs Messianiques – mais nous nous bouchons les yeux sur les craintes qui affligent les gens dont nous avons peur.) Des Juifs Messianiques réagissent souvent aussi avec confusion et perplexité à la terminologie minutieusement développée de la culture religieuse catholique. Ils ne comprennent pas ou ne parlent pas « catholique ». Le Sacré-Cœur ? Le Saint-Sacrement ? Les jours de fête d’obligation? L’Immaculée Conception ? L’Assomption ? Les Juifs Messianiques ont appris à comprendre et à parler « évangélique », mais ce nouveau langage les déroute. Il semble appartenir à une religion totalement différente [52].

Il poursuit sur un ton plus positif :

D’après mon expérience, l’attitude des Juifs Messianiques change radicalement une fois qu’ils ont appris l’existence du Groupe de Dialogue entre Catholiques Romains et Juifs Messianiques, et l’ouverture au Judaïsme Messianique dont font preuve les hautes autorités catholiques. Ces catholiques éminents ne considèrent pas le Judaïsme Messianique comme une secte protestante, mais le voient plutôt comme une initiative divine qui constitue un défi prophétique pour l’Église tout entière. Habitués à leur marginalisation institutionnelle, les Juifs Messianiques s’émerveillent de cette tendance humble et spirituellement réceptive, et se demandent si leurs préventions antérieures concernant le catholicisme ne devraient pas être réexaminées [53].

Enfin, il exprime son espérance prophétique en ces termes, à la fois inspirés et lucides :

Je peux seulement imaginer ce que serait la réaction des Juifs Messianiques si l’Église catholique romaine reconnaissait publiquement et officiellement la grave erreur qu’a constitué la suppression de la pratique juive par les juifs baptisés, et si elle encourageait ensuite tous les juifs baptisés à trouver des moyens appropriés pour exprimer leur fidélité envers le peuple juif et leur respect pour la tradition religieuse juive. Si l’Église catholique allait plus loin et continuait à initier un processus formel de relation avec le Mouvement Messianique juif, dans le cadre duquel elle a reconnu l’existence de ce mouvement comme une œuvre de l’Esprit Saint –, l’impact chez les Juifs messianiques serait profond. Beaucoup se sentiraient contraints, pour la première fois, de reconnaître l’action puissante du Saint-Esprit dans et par l’Église catholique, et se rendraient compte qu’ils doivent ajouter à leur répertoire une autre manière religieuse de s’exprimer. Les avantages pour les Juifs Messianiques seraient énormes. Ils apprendraient à voir la manière évangélique protestante de s’exprimer qu’ils ont héritée de leurs maîtres à penser comme n’étant qu’un cadre possible pour l’interprétation et l’expression de l’enseignement et de l’œuvre de Jésus – en d’autres termes, comme une tradition particulière, avec ses points forts et ses faiblesses. Ils pourraient vérifier par expérience que la tradition chrétienne est plus large que l’évangélisme, et qu’elle offre une riche variété de manières d’exprimer et de vivre la bonne nouvelle. Cette perception de la valeur de la tradition chrétienne dans sa globalité pourrait également mettre en lumière l’importance de la tradition juive, et aider les Juifs Messianiques à éviter un biblicisme naïf qui dénigre toutes les pratiques et les points de vue qui n’ont pas de référence scripturaire explicite. En outre, la collaboration avec le Catholicisme romain pourrait aider les Juifs Messianiques à se rendre compte qu’une authentique spiritualité est aidée plutôt que freinée par une recherche intellectuelle rigoureuse [54].

A lire Kinzer, des Chrétiens seraient tentés de croire qu’est proche l’accomplissement la grande espérance multiséculaire de leur Église, d’une ‘conversion’ de tout le peuple juif, annoncée de longue date par certains Pères de l’Église [55]. Mais la longue confidence courageuse suivante de ce théologien Juif Messianique les retiendra de courir trop vite, et surtout de prendre leurs désirs pour des réalités :

J’ai fait l’expérience de la vie catholique, de manière aussi étroite que possible, sans devenir effectivement catholique. […] La principale raison de mon attitude, ne provient pas de mon refus de certains points centraux de la doctrine catholique (bien que je n’approuve pas certains d’entre eux), mais du fait que je ne vois aucun moyen d’accomplir ce que je crois être mes obligations religieuses de juif dans le contexte catholique romain. Comme je l’ai soutenu dans un livre antérieur, je crois qu’à tous les juifs, y compris ceux qui sont baptisés, incombe la responsabilité de vivre dans l’observance de la Torah, selon le modèle fondamental transmis par la tradition juive. Cela requiert un engagement sérieux envers la communauté juive plus large et le respect du calendrier liturgique juif. Pour des disciples juifs de Jésus, cela requiert aussi un environnement ecclésial spécifique, qui admette la foi en Jésus conjointement à la pratique religieuse juive, et l’implication communautaire juive. En conséquence, j’ai soutenu que l’ecclesia devait être conçue comme ayant un caractère intrinsèquement double: c’est un corps constitué de Juifs et de non-Juifs, au sein duquel les disciples juifs de Jésus demeurent une présence communautaire visible à l’intérieur de l’unique ecclesia, qui la lie au Peuple juif dans son ensemble. J’ai appelé ce modèle une ecclésiologie bilatérale ; elle ressemble beaucoup au cadre proposé par le Cardinal Lustiger, qui envisageait l’unique ecclesia catholique comme incluant à la fois une ecclesia ex circumcisione et une ecclesia ex gentibus.
L’émergence du mouvement Juif Messianique à la fin du vingtième siècle, équivaut à une tentative de retrouver cette dimension bilatérale cruciale de la vie de l’Église. Ce mouvement fournit une expression concrète de la vérité que le Pape Jean Paul II a vue dans la phrase introductive de Nostra Aetate 4: « La religion juive ne nous est pas ‘extrinsèque’, mais elle est, d’une certaine manière, ‘intrinsèque’ à notre religion. »
J’écris donc en tant que « non-Catholique » (c.-à-d., quelqu’un qui n’a pas été admis à la communion catholique romaine), parce que je crois que l’Église catholique n’est pas encore suffisamment « catholique » – selon la définition de ce mot, proposée par le Cardinal Lustiger: L’Église est catholique (c.-à-d., « selon la totalité ») parce qu’elle est « des juifs et des païens », tant de « l’ecclesia ex circumcisione (l’Église née de la circoncision) que de l’ecclesia ex gentibus (l’Église née des nations païennes) ». Comme ce Cardinal juif, je ne cherche pas à purger l’église de ses scories, mais à « élargir l’espace de sa tente et à raffermir ses piquets » [cf. Is 54, 2].

Non seulement je trouve ce témoignage admirable, mais je peux le signer des deux mains, car je partage entièrement l’attente et l’espérance qu’il exprime. Toutefois, il faut attendre que ce mouvement s’incarne dans le Corps de l’Église du Christ, « constitué de Juifs et de non-Juifs », selon les termes de Kinzer cités ci-dessus.

En attendant, je fais mienne sa formulation quasi sacramentelle, citée plus haut :

…l’ecclesia devait être conçue comme ayant un caractère intrinsèquement double: c’est un corps constitué de Juifs et de non-Juifs, au sein duquel les disciples juifs de Jésus demeurent une présence communautaire visible à l’intérieur de l’unique ecclesia, qui la lie au Peuple juif dans son ensemble.

Il reviendra in fine aux instances des églises habilitées à ce faire, de mettre en œuvre, en dialogue avec les dirigeants du mouvement Juif Messianique, un processus de reconnaissance pouvant éventuellement déboucher sur la création d’un statut ecclésial ad experimentum [56] spécifique à cette initiative.


  1. Voir, entre autres, les thèses de deux érudits, que j’ai reproduites dans mon livre, Un voile sur leur coeur. Le «non» catholique au Royaume millénaire du Christ sur la terre : « Annexe 1. Le chiliasme a-t-il été condamné à Constantinople », par Francis X. Gumerlock, p. 163-190 ; « Annexe 2. L’hérésie fantôme : Le Concile d’Ephèse (431) a-t-il condamné le Millénarisme ? », par Michael J. Svigel, p. 191-208.
  2. Voir « Réponse du Saint-Office au sujet du millénarisme, avec commentaires de S. Rosadini ».
  3. Voir, ci-dessus, note 6.
  4. Catéchisme de l’Église catholique (§ 675-676) : « Avant l’avènement du Christ, l’Église doit passer par une épreuve finale qui ébranlera la foi de nombreux croyants […]. La persécution qui accompagne son pèlerinage sur la terre […] dévoilera le "mystère d’iniquité " sous la forme d’une imposture religieuse apportant aux hommes une solution apparente à leurs problèmes au prix de l’apostasie de la vérité. L’imposture religieuse suprême est celle de l’Anti-Christ, c’est-à-dire celle d’un pseudo-messianisme où l’homme se glorifie lui-même à la place de Dieu et de son Messie venu dans la chair […] Cette imposture antichristique se dessine déjà dans le monde chaque fois que l’on prétend accomplir dans l’histoire l’espérance messianique qui ne peut s’achever qu’au-delà d’elle à travers le jugement eschatologique : même sous sa forme mitigée, l’Église a rejeté cette falsification du Royaume à venir sous le nom de millénarisme […], surtout sous la forme politique d’un messianisme sécularisé, "intrinsèquement perverse" […]. »
  5. Ce processus a été remarquablement décrit par Rabbi Mark Kinzer, dans son étude fouillée de 2012, « Trouver notre chemin dans le Concile de Nicée : La divinité de Jésus, l’ecclésiologie bilatérale, la rencontre rédemptrice avec le Dieu vivant », reproduite dans l’Annexe 4 de son récent ouvrage, Scrutant son propre mystère, op. cit., p. 273 et ss. La réflexion exposée dans les pages 299 à 301 me paraît particulièrement aboutie.
  6. Même si tous les Pères et écrivains ecclésiastiques des quatre premiers siècles ne partageaient pas cette croyance. Dans son ouvrage de référence, Initiation aux Pères de l’Eglise (vol. I, 1955), Johannes Quasten souligne opportunément que « Justin partage les vues des millénaristes sur le millenium : "Pour moi et les chrétiens d’orthodoxie intégrale, tant qu’ils sont, nous savons qu’une résurrection de la chair arrivera pendant mille ans dans Jérusalem rebâtie et agrandie". Mais il est obligé d’admettre que tous les chrétiens ne partagent pas cette idée : "Beaucoup, par contre, même chrétiens de doctrine pure et pieuse, ne le reconnaissent pas, je te l’ai signalé" (Dial., 80). »
  7. Sur cette institution, mal connue, du christianisme primititif, voir mon étude « Le rôle des presbytres dans la transmission de la doctrine, dite ‘millénariste’, d’un règne du Christ sur la terre ».
  8. C’est la parrhèsia, que l’article éponyme du Wictionnaire définit ainsi : « Parole droite et directe. La parrhèsia est une certaine parole de vérité, un dire-vrai qui ne relève ni d'une stratégie de démonstration, ni d'un art de la persuasion, ni d'une pédagogie. »
  9. Voir, ci-dessus, note 24.
  10. Voir, ci-dessus, notes 29 et 36.
  11. Au sens de « méthode de discussion, de raisonnement, de questionnement et d'interprétation », voir l’article « Dialectique », sur Wikipédia.
  12. Appelé « nouvel Israël » dans les Constitutions Lumen Gentium, 9, et Ad Gentes, 5, du Concile Vatican II.
  13. C’est par analogie que j’emploie ici le terme « narratif » (narrative, en américain), au sens d’un discours sur soi ou sur son appartenance ethnique, culturelle et/ou religieuse qui s’apparente au mythe, voire, plus péjorativement, au « storytelling », en ce qu’il constitue un acte de foi autojustificateur, qui peut être sincère mais constitue le plus souvent un plaidoyer subjectif en faveur d’une cause, à l’exclusion de toute autre. Sur ce sujet, voir la recension du livre de Christian Salmon, Storytelling. La machine à fabriquer les images et à formater les esprits (2007), dans la revue Communication, vol 29/2 2012.
  14. Voir la définition de cette expression dans le « Dictionnaire vivant de la Langue française », en ligne.
  15. J’ai affronté cette difficulté dans mon article : « L’incrédulité juive à l’égard du Christ fut-elle une faute ou une disposition mystérieuse du dessein de Dieu ?.
  16. Voir ce que dit la Constitution dogmatique Lumen Gentium 12, de ce « sensus fidei », et cf. Fiche de synthèse du site Dogmatique.net.
  17. Cité d’après John Henry Newman, Apologia pro vita sua, dans Textes Newmaniens publiés par L. Bouyer et M. Nédoncelle, Desclée de Brouwer, T. V, 1967, p. 435-439.
  18. Il est, depuis juillet 2012, préfet émérite de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Le texte qui suit est extrait d’un discours prononcé par lui, le 2 avril 1986, devant les membres du Congrès annuel de l’Association nationale de l’Education catholique des États-Unis. Texte français de La Documentation Catholique, n° 1926, 19 octobre 1986, p. 904. Repris dans M. R. Macina, "Magistère ordinaire et désaccord responsable : scandale ou signe de l’Esprit ? Jalons pour un dialogue", Ad Veritatem, n° 19, juil.-sept. 1988, pp. 26-48. Texte en ligne sur le site Rivtsion.
  19. On peut lire une présentation vulgarisée de cette théorie dans Miguel Morin, « Développement ou corruption des dogmes ». Pour un exposé approfondi, lire Jérôme Levie, « L'essai sur le développement, de J. H. Newman ». Voir aussi : Jean Stern, Bible et Tradition chez Newman. Aux origines de la théorie du développement, Aubier-Montaigne, Paris, 1967, etc.
  20. Menahem Macina, Chrétiens et juifs depuis Vatican II. État des lieux historique et théologique. Prospective eschatologique, éditions Docteur Angélique, 2009 ; chapitre IV. Une théologie inadaptée à la gestion du Mystère d’Israël et à son incarnation ; pdf consultable en ligne sur le site Academia.edu, p. 84.
  21. Dans les années 1980, une haute personnalité religieuse de l’Église catholique, avait déjà formulé un avertissement analogue : « Tant que la théologie n’aura pas répondu, d’une manière claire et ferme, au problème de la reconnaissance par l’Église, de la vocation permanente du peuple juif, le dialogue judéo-chrétien demeurera superficiel et court, plein de restrictions mentales. » Extrait d’une conférence de Mgr R. Etchegaray, prononcée le 24 mai 1981, devant l’Amitié judéo-chrétienne de France (texte publié dans le Supplément à L’Église aujourd’hui à Marseille, n° 23, du 21 juin 1981).
  22. J. H. Newman, Essays Critical and Historical, II, p. 337-338. Texte en ligne sur le site Newmanreader.org. La traduction française et les italiques sont de moi.
  23.  C’est l’onus probandi du Droit, voir l’article de Wikipédia.
  24. J’ai traité de ce sujet dans mon article intitulé : « Payer le prix d’un changement de la théologie chrétienne du peuple juif ».
  25.  L’article « Millénarisme » de Wikipédia constitue un exposé de vulgarisation suffisant pour une entrée en matière et un premier état de la question. Il doit être lu et assimilé par celles et ceux qui n’ont pas la maîtrise théologique suffisante pour se mesurer à des travaux plus techniques en la matière. Le site Ebior.be a consacré aux « derniers temps » un Wiki, dont la 2ème partie constitue un exposé historique sommaire fort utile des différentes formes de millénarisme dans le monde protestant. Je ne saurais trop en recommander la lecture. Lire aussi : « Le fondamentalisme protestant. Sources et origines », par Mgr Francis Frost (2008) ; etc.
  26. Paul L. King, “Premillennialism and the Early Church,” in K. Neill Foster and David E. Fessenden, eds., Essays in Premillennialism (Camp Hill, PA: Christian Publications, 2002), 1-12 at 8. Cité ici d’après
  27. L’auteur de l’Épître de Barnabé, Papias, Justin Martyr, Théophile de Césarée, Méliton de Sardes, Irénée de Lyon, Tertullien, Julius Africanus, Commodien, Lactance, Népos, Méthode, Victorin de Pettau, et Apollinaire.
  28. Cité ici d’après Francis X. Gumerlock, « Le Chiliasme a-t-il été condamné à Constantinople ? », note 10.
  29. La formule est du P. Peter Hocken, dans la communication qu’il a faite à Baltimore, le 18 juillet 2015, lors de la Conférence de l’UMJC [Union of Jewish Messianic Congregations] : « Affronter l’injustice passée [Juifs messianiques, Deuxième Concile de Jérusalem, etc.] », p. 8 du pdf en ligne.
  30. Sur ce mouvement prometteur et trop peu connu des Chrétiens, qui semble bien être un fruit de l’Esprit, voir l’étude incontournable du P. Peter Hocken, « Le mouvement Juif Messianique: Nouvelle tendance et ancienne réalité ».
  31. Mark S. Kinzer, Searching Her Own Mystery, Nostra Aetate, the Jewish People and the Identity of the Church, Wipf and Stock, Eugene, OR, 2015, présentation sur le site de l’auteur. L’ouvrage a été traduit en français et publié en mai 2016 par les éditions Parole et Silence, sous le titre Scrutant son propre mystère, Nostra Aetate, le Peuple juif, et l’identité de l’Église, présentation sur le site de l’éditeur.
  32. Ibid., p. 58-59.
  33. Voir P. Hocken, « Affronter l’injustice passée », op. cit. ci-dessus, note 143, p. 2 du pdf.
  34. Archidiacre de l’archevêché de Vienne et ami du cardinal Schönborn.
  35. Id., Ibid., p. 3.
  36. Id., Ibid., p. 4.
  37. J’en ai traité dans plusieurs de mes écrits. Voir, entre autres : « La légitimité d’Israël combattue par des chrétiens » (2014) ; « Un cas aigu d’hostilité chrétienne envers Israël : l’Église presbytérienne » (2015).
  38. Chosen? Reading the Bible amid the Israeli-Palestinian Conflict (Louisville, KY: Westminster John Knox Press, 2015).
  39. Pour mémoire, dans son ouvrage de 1977, intitulé The Land: Place as Gift, Promise, and Challenge in Biblical Faith, Fortress Press, 1977, Brueggemann considérait comme légitime et voulue par Dieu la souveraineté du peuple juif sur son ancienne patrie. Cinq ans plus tard, dans sa réédition de 2002 du même ouvrage, sous-titré « Overtures to Biblical Theology », sa position avait changé et il était beaucoup plus réservé sur ce point.
  40. Voir, plus loin, Annexe 3. Chapitre 1. LA QUESTION DE LA TERRE.
  41. Ibid., TENSION BIBLIQUE ENTRE EXCLUSION ET ACCUEIL.
  42. Fatal Embrace: Christians, Jews and the Search for Peace in the Holy Land.
  43. Intitulée « Le livre-choc de Walter Brueggemann, "ÉLU? Lire la Bible au milieu du conflit israélo-palestinien" : un réquisitoire pseudo-théologique partisan qui fait de la bible une arme fatale contre Israël ». Voir, ci-après, p. 000.
  44. Intitulée « Quelques recensions critiques du livre de Brueggemann ». Voir, ci-après, p. 000.
  45. Voir mon article : « Le signe de Saül pour un temps d'apostasie », et mon livre intitulé : Le signe de Saül - A propos du sévère avertissement de Paul aux chrétiens (Rm 11, 19-22).
  46. Au sens figuré de « passerelle ».
  47. Suite à l’adoption, le 30 juillet 1980 par la Knesset, de la Loi de Jérusalem.
  48. On trouvera, ci-après, en Annexe 6, la Bibliographie de l’édition française du livre de Mark S. Kinzer, Scrutant son propre mystère, op. cit.
  49. Il s’agit de Peter Hocken, « Le mouvement Juif Messianique: Nouvelle tendance et ancienne réalité » ; Mark S. Kinzer, Scrutant son propre mystère, Nostra Aetate, le Peuple juif, et l’identité de l’Église, Parole et Silence, 2016.
  50. La formule, déjà évoquée plus haut, est de Peter Hocken, dans « Affronter l’injustice passée… », op. cit., ci-dessus, note 143.
  51. Kinzer, Scrutant son propre mystère…, op. cit., p. 234.
  52. Id., Ibid.
  53. Ibid., p. 234-235.
  54. Ibid., p. 235.
  55. Cf. M.R. Macina, « Élie et la conversion finale du peuple juif, à la lumière des sources rabbiniques et patristiques ».
  56. Voir, pour information, le document intitulé Conditions et procédure pour la reconnaissance des associations internationales de fidèles, publié par le Conseil Pontifical pour les Fidèles, en ligne sur le site du Vatican.

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Cette oeuvre (Salut universel et particularisme d'Israël. Le rôle médiateur du Judaïsme Messianique de Menahem R. Macina) n’a aucune restriction de droit d’auteur connue.

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